Bien que Keynes disait « À long terme, nous serons tous morts », d’autres, tel qu’Hans Jonas pense les conséquences des actions de notre civilisation technologique sur le long terme comme étant devenu un problème économique[1]. En effet, ce dernier développe la notion de devoirs envers les « générations futures » qui est aujourd’hui un des fondements des discours environnementaux modernes.

Cependant, bien qu’il ne réside aucun doute dans l’enjeu éthique du respect de l’environnement ; sa mise en œuvre suscite des difficultés en raison de l’exigence d’un volet politique et juridique. Effectivement, certains scandales récents touchant au droit pénal de l’environnement, démontre une invisibilisation du contentieux environnemental, cela en raison d’une faible judiciarisation, mais aussi des enjeux écologiques traités de manière dispersée[2].

C’est notamment le cas du scandale récent concernant TotalEnergies, comme l’a mis en lumière l’enquête menée par Quentin Müller et publiée dans l’Obs en avril 2023[3], lequel a par ailleurs reçu le Grand Prix Varenne de la presse magazine pour ce reportage. Il convient donc d’en aborder les faits et la procédure en cours à titre d’exemple.

I/ Le scandale TotalEnergies : rappel des faits et procédure en cours

Selon cette enquête, TotalEnergies aurait illégalement enfoui des millions de litres d’eau toxique dans l’Hadramaout, au Yémen. En effet, alors que la filiale yéménite de TotalEnergies, baptisée Total E & P Yemen, aurait exploité un bassin pétrolier appelé « Messila » (bloc 10) de 1996 à 2015 ; une succession d’accidents se serait produite en raison d’une défaillance des installations, de standards sécuritaires et environnementaux non respectés et d’une gestion négligente des déchets découlant de l’extraction du pétrole. Ces accidents auraient eu pour conséquence une pollution des milieux (notamment des nappes phréatiques et des terres qui seraient radioactives et cancérigènes) mais aussi des conséquences sanitaires pour les populations locales (déclaration de plus de 200 nouveaux cas de cancers par an, avec une augmentation depuis 2008). Ainsi, une pollution massive aurait lieu depuis 2000, renforcée par l’explosion d’un pipeline en 2008 causant la marée noire de Wadi al-Ghubaira. Bien que TotalEnergies assure avoir mis en œuvre des réponses techniques appropriées et ne plus être engagé dans l’exploitation de ce bassin depuis 2015 ; il semble que les moyens mis en œuvre aient été insuffisants puisqu’il n’y aurait pas eu de système de purification des eaux et les terres radioactives présentes dans les bassins auraient été laissées à l’abandon.

Par ailleurs, un ancien salarié préférant rester anonyme et ayant travaillé sur le site de 2006 à 2010 aurait indiqué que lorsque les bassins étaient pleins, les eaux auraient été réinjectées dans des puits d’évacuation inactifs creusés à environ 2 500 mètres de profondeur. Bien que TotalEnergies démente, la demande de construction d’une usine de traitement des eaux de production n’aurait pas abouti en raison de son coût.

En conséquence, cette province de l’Est du Yémen alors connue pour ses richesses agricoles et pétrolières, se retrouve couverte de traces de pétrole sur 20 kilomètres en vallée avec des taux de cadmium et de mercure au-dessus des normes de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Pourtant, TotalEnergies aurait payé des habitants de la région 5 dollars par jour pour faire disparaître ces traces, expliquant possiblement l’explosion du taux de cancers. Dès lors, en 2008, une demande en réparation des terres polluées par TotalEnergies aurait été déposée par les habitants de la région. Par peur d’actes terroristes ou de sabotages, TotalEnergies aurait payé un montant estimé à environ 59 000 dollars pour 500 habitants, ce qui représenterait 0,0005 % des bénéfices annuels de la société ; c’est-à-dire rien en comparaison des dommages causés et du poids économique de TotalEnergies. Cependant, les habitants n’auraient pas touché ces sommes. Par conséquent, en mars 2015 une plainte a été déposée par 5 habitants pour contraindre TotalEnergies à assumer sa responsabilité dans la pollution. Cependant, en 2016, alors que la saisie des fonds déposés par TotalEnergies à PetroMasila entre 1990 et 2015 venait d’être ordonnée, la plainte est retirée supposément à la suite d’un paiement direct ou indirect de la part de TotalEnergies[4].

Si la première plainte n’a pas abouti, cela s’explique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il faut remarquer l’impact du contexte politique du Yémen. En effet, le pays vit une guerre civile depuis septembre 2014 à la suite de l’invasion de la capitale, Sanaa, par les rebelles Houthis. C’est ce contexte qui a favorisé la fuite de TotalEnergie du territoire, mais aussi qui rend plus difficile le déplacement sur les lieux pour constater les dommages qui auraient été causés. Cela étant doublement difficile puisque les lieux sont surveillés par des gardes qui en interdisent l’accès. Par ailleurs, bien que la trêve de 2022 ait réduit les violences dans le pays et qu’en avril 2023 des négociations officielles entre Houthis et Saoudiens aient été engagées en excluant le gouvernement officiel ; les chances d’obtenir une paix durable sont faibles[5]. La guerre civile se prolongeant, le Yémen connaît une crise humanitaire grave. En effet, selon UNICEF près de 70 % de la population a besoin d’une aide humanitaire et d’une protection, chiffrant à 17,4 millions le nombre de personnes étant en situation d’insécurité alimentaire aiguë[6]. Ainsi, ce contexte va dans le sens de l’hypothèse d’un retrait de plainte en échange d’un paiement direct ou indirect, d’autant plus que la population locale ne connaît pas nécessairement ses droits ou ne sait pas comment revendiquer des réparations pour les dommages subis. 

Cependant, à la suite de cette première plainte inaboutie, la situation des habitants de la région n’a pas évolué positivement, puisqu’ils ne disposent pas d’un accès aux soins en cas de déclaration de cancers. En effet, les ONG présentes sur place n’offrent pas d’aide médicale pour ces pathologies car non liées à la guerre ou à ses conséquences. Les patients incurables n’ont donc d’autres choix que de demander un traitement d’urgence à l’étranger, notamment en Égypte, en Jordanie, en Inde ou encore en Arabie Saoudite. Le taux de réponse positive à ces demandes est faible. En effet, en 2022, sur 1050 demandes traitées, seulement 270 patients ont pu profiter de ce traitement d’urgence à l’étranger[7].

C’est donc malgré le retrait de cette première plainte au Yémen, qu’une procédure en référé, dite référé 145, a été ouverte dernièrement devant le Tribunal de Nanterre en France. En effet, Maître Fiodor Rilov, qui représente 58 ressortissants yéménites, a assigné TotalEnergies par huissier le 9 janvier 2024. Les plaignants s’estiment victimes des conséquences de l’exploitation d’un bassin pétrolier ayant causé des dommages considérables et permanents sur le plan économique, social, environnemental et culturel. Cette procédure vise à ce que TotalEnergies communique les documents concernant le traitement des eaux de production ainsi que le recyclage des produits de la production, des puits d’injections et des dommages des oléoducs. La requête devait être examinée par le Tribunal de Nanterre le 1er février 2024. Cependant, le cabinet Jones Day représentant de TotalEnergies n’a rendu ses conclusions que la veille au soir en ne produisant aucun document contredisant les accusations des plaignants. En conséquence, ne pouvant se préparer aux conclusions adverses, Maître Fiodor Rilov a demandé un renvoi, qui n’aura lieu que le 20 juin 2024. La juge a proposé une médiation pour tenter de trouver une entente avant la tenue d’un éventuel procès sur le fond[8].

Cette situation est préoccupante d’un point de vue environnemental certes, mais aussi d’un point de vue juridique. En effet, les dérives de notre société moderne sont multiples, mais celles touchant à l’environnement sont régulièrement passées sous silence, car elles sont commises par de grands groupes qui souhaitent éviter que des scandales éclatent dans la presse. En ce sens, ces situations font courir un risque d’impunité qui n’a pas lieu d’être. Si l’on prend seulement l’exemple de TotalEnergies, ce scandale s’ajoute entre autres à une plainte transmise le 9 octobre 2023 au parquet de Nanterre pour homicides involontaires et non-assistance à personne en danger à la suite d’une attaque djihadiste en mars 2021 au Mozambique ; ou encore la plainte déposée le 22 septembre 2023 par quatre associations de défense de l’environnement concernant les projets pétroliers du groupe en Tanzanie et en Ouganda[9].

Ces scandales récents s’ajoutent donc à une longue liste, qui depuis les années 1950 ne fait que croître ; cela concernant les pesticides, les matériaux dangereux, le pétrole, la pollution automobile entre autres[10]. Il ne s’agit donc pas d’une situation isolée, mais bien d’un problème systémique. Le législateur a pris en compte ces situations nouvelles pour qu’elles puissent être réprimées notamment en droit pénal.

II/ Le droit pénal de l’environnement : mécanismes juridiques existants et nécessaires évolutions

Dans le cadre du scandale TotalEnergies, il n’y a pas encore de procédure sur le fond. Cependant, il est tout de même essentiel de se questionner quant aux mécanismes juridiques existants, notamment en droit pénal, et à la nécessaire évolution de ces derniers.

Avant toute chose, il faut aborder la question de la compétence. En effet, en France ainsi que dans de nombreux États, le principe se veut être la compétence territoriale prévue par l’article 113-2 du Code pénal (CP) qui dispose :
« La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. L’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ».
Cependant, dans le cadre des infractions environnementales, les actes ont souvent lieu à l’étranger, ce principe ne s’appliquant donc pas. Ainsi, lorsque des infractions sont commises à l’étranger, la compétence de la France n’est pas toujours évidente.

Pour autant, le législateur est venu étendre le champ de compétence de la loi française en prévoyant des chefs de compétence extraterritoriale[11]. Il s’agit donc de liens de rattachement. Dans ces situations de pollution de grande ampleur, les victimes de l’infraction sont le plus souvent des habitants d’un État étranger, et l’auteur est une société. Ainsi, le lien de rattachement peut être le lien de nationalité de l’auteur, il s’agit de la compétence personnelle active prévue à l’article 113-6 CP qui dispose :
« La loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République. Elle est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis ».
En ce sens, pour que la société soit considérée comme étant de « nationalité » française, il faut que son siège social soit situé en France. Mais une seconde condition s’ajoute, celle de la réciprocité d’incrimination lorsque l’infraction constitue un délit. Cela est important en matière environnementale, car la plupart des infractions prévues par le législateur français sont délictuelles. Il faudra donc que l’État de commission de l’infraction punisse dans ses textes répressifs le fait en question. Cela peut être difficile notamment lorsqu’il s’agit d’un État dont le contexte politique n’offre pas toutes les garanties d’un point de vue de la protection juridique. Par ailleurs, une autre condition soulève des difficultés : celle du seul déclenchement de l’action pénale par le procureur de la république[12]. Il en va de même concernant la condition de non bis in idem impliquant que l’auteur de l’infraction ne pourra pas être poursuivi si une juridiction étrangère l’a déjà jugé définitivement et si, le cas échéant, sa condamnation a été exécutée ou prescrite. En ce sens, la jurisprudence ne donne pas d’exemples d’application de cette compétence en matière environnementale. Pour autant, il s’agit d’une lacune que le législateur devrait combler, car il n’est pas envisageable que la protection de l’environnement repose seulement sur le droit de l’environnement lui-même. En effet, cela pose un problème concernant les atteintes les plus graves, car le Code de l’environnement comporte peu de délits généraux[13].

Malgré ces difficultés, si dans le cadre d’une infraction environnementale, la loi française est applicable et donc que les juridictions françaises sont compétentes, faut-il encore savoir quelle juridiction est compétente. En ce sens, afin de mieux protéger juridiquement l’environnement, la loi du 24 décembre 2020[14] a créé, dans une optique de spécialisation des juridictions judiciaires, un pôle interdépartemental dans le ressort de chaque cour d’appel en matière environnementale. Cette spécialisation a pour objectif d’accélérer le traitement des dossiers et de faciliter l’obtention de preuves. Il s’agit d’une avancée importante, toutefois, des améliorations sont encore possibles en raison du manque de lisibilité de l’organisation judiciaire. Ainsi, le rapport « Une justice régionale pour l’environnement » de la MAPPU[15] préconise une « spécialisation de l’urgence écologique » en privilégiant les pôles régionaux environnementaux pour la mise en œuvre des procédures de référés civils et pénaux en matière d’environnement. En considération de cela, la Cour de cassation dans un rapport de 2021[16] propose la création d’une juridiction environnementale à compétence civile et pénale dans le but de consolider la protection de l’environnement dans le système judiciaire tout en répondant au besoin de spécialisation. Ce juge disposerait d’une compétence et des attributions étendues, permettant une meilleure visibilité de la juridiction et donc un renforcement de l’accès au juge, cela afin de garantir l’effectivité de la protection de l’environnement.

Par ailleurs, si la question de la compétence soulève des difficultés, elle n’est pas la seule, puisque se pose également la question de la preuve. En effet, l’intervention du juge quant aux mesures d’instruction est inefficace en matière environnementale. Dans le cadre de la procédure en référé contre TotalEnergies, plusieurs questions se posent :
– Est-il possible de prendre des mesures d’instruction in futurum en vue d’une procédure pénale ?
– Est-ce que cette procédure est réellement efficace afin de conserver les preuves ?
Tout d’abord, la procédure en question est prévue à l’article 145 du Code de procédure civile qui dispose :
« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
Elle permet donc la saisine du juge civil, que cela soit sur requête ou en référé, afin de demander des mesures d’instruction in futurum de conservation ou d’établissement de la preuve de faits desquels découlent la solution du litige. En ce sens, la mesure d’instruction in futurum est intéressante, car elle pourrait avoir pour finalité une procédure sur le fond en matière pénale voire le dépôt d’une plainte simple. En effet, peu importe que les faits reprochés puissent éventuellement être incriminés pénalement, la jurisprudence considère « que l’article 145 nouveau CPC, n’établit aucune distinction selon que l’instance est portée devant la juridiction civile ou exercée devant la juridiction répressive conjointement avec l’action publique »[17]. Reste donc à aborder l’efficacité d’une telle procédure. En effet, cette procédure a lieu une fois que le dommage présumé a déjà été causé, l’enjeu est d’obtenir des preuves en demandant la remise de certains documents. Cependant, sa lenteur en raison du renvoi et l’absence d’effet de surprise, comporte le risque que les documents soient détruits.

En ce sens – bien que dans certains cas cela ne soit pas possible – cela justifie l’importance d’une action judiciaire rapide afin que cette dernière soit plus efficace, notamment pour faire cesser l’atteinte à l’environnement ou la prévenir, et non pas seulement rechercher les preuves après qu’elle a été commise. Effectivement, en 2021, dans une communication portant sur le référé spécial environnement[18], les députées Naïma Moutchou et Cécile Untermaier abordent la nécessité d’une action juridique rapide en raison de la spécificité des atteintes à l’environnement. Il existe de multiples procédures en référé en matière judiciaire ou administrative, qu’elles soient générales ou spécifiques. Cependant, certaines difficultés sont nuisibles à l’efficacité de ces procédures, notamment en raison du manque de lisibilité, de la lenteur des procédures et des difficultés d’application. Il est donc nécessaire que les procédures soient spécifiquement ajustées au droit de l’environnement (en modifiant ces procédures et en élargissant leur champ), mais aussi que les conditions dont l’interprétation est souvent restrictive soient atténuées (notamment concernant la condition urgence). Par ailleurs, le rapport précité de la Cour de cassation de 2021[19], évoque la nécessité de « créer un référé unique permettant de prévenir et de faire cesser les dommages à l’environnement, sans distinction entre le référé en matière civile et le référé prévu à la suite d’une infraction, car ces deux mécanismes ont en définitive pour objectif de prendre des mesures conservatoires ».

En matière environnementale, le droit pénal peut être mobilisé dans une procédure sur le fond. Cependant, les infractions existantes sont trop spécifiques. En effet, bien que de nouvelles incriminations voient le jour, ces infractions se veulent inadaptées quant à leur application dans ce contentieux. Récemment, une loi du 22 août 2021[20] est venue durcir l’échelle des peines en la matière, créer notamment le délit de mise en danger de l’environnement et celui d’atteinte à l’environnement. Tout d’abord, le délit de mise en danger de l’environnement prévu à l’article L.173-3-1 du Code de l’environnement, est sujet à débats, car le champ d’application restreint et l’exigence temporelle peuvent être un obstacle à l’incrimination de ce délit. Par ailleurs, ce délit de mise en danger de l’environnement suit le même raisonnement que celui de la mise en danger d’autrui qui est incriminé de manière autonome à l’article 223-1 CP comme étant
« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».
Néanmoins, s’il est déjà difficile de rapporter la preuve de la mise en danger d’autrui en raison de la condition tenant à la violation d’une obligation particulière de sécurité ; la mise en danger de l’environnement se confronte à la même problématique. Par ailleurs, la peine privative de liberté encourue en cas de mise en danger de l’environnement est supérieure à celle de mise en danger d’autrui ; 3 ans d’emprisonnement pour la première contre 1 an d’emprisonnement pour la seconde. Ainsi, bien que cette différence s’explique par la volonté de la loi du 22 août 2021 de durcir l’échelle des peines, il est difficilement justiciable que la mise en danger de l’environnement soit punie plus lourdement que celle de la vie humaine, en ce que la protection de la vie humaine est censée être une priorité du droit pénal contemporain.

Ensuite, concernant le délit d’atteinte à l’environnement, ce dernier peut être divisé en trois : le délit général de pollution des milieux, le délit d’abandon de déchets et le délit d’écocide. C’est surtout ce dernier qui a suscité de vifs débats. Alors que ce délit était déjà mis en avant dans une proposition de loi de 2019[21], il a été remanié lors de son inscription à l’article L.231-3 du Code de l’environnement. En effet, il consiste à réprimer le délit général de pollution des milieux et le délit d’abandon de déchets lorsque ces derniers sont commis de manière intentionnelle. Cependant, en raison de la difficulté de caractérisation de la condition d’intentionnalité et du délai concernant ses effets (d’au moins 7 ans), cette infraction est difficile à caractériser.

Ces difficultés sont regrettables, car cette incrimination permet de regrouper en un seul délit plusieurs comportements d’une certaine gravité étant particulièrement attentatoires à l’environnement. En effet, en s’inspirant du crime de génocide, il découle de l’idée selon laquelle il y aurait une interdépendance entre les écosystèmes et les conditions d’existence de l’humanité justifiant la nécessité de poursuivre et punir les atteintes les plus graves à l’environnement qui détruisent de manière irréversible la planète.

Cette protection de la sûreté de la planète est le nouvel enjeu de la communauté internationale[22]. Certains juristes, dont Higgins, ont plaidé et plaident encore pour une reconnaissance de l’écocide comme crime contre l’humanité. En effet, en 2010, Higgins a proposé une définition de l’écocide comme étant constitué en raison « de dommages extensifs ou la destruction d’un écosystème d’un territoire donné »[23]. Il s’agirait d’une responsabilité individuelle des personnes physiques, pouvant s’appliquer aux dirigeants d’entreprise. Cela aurait alors une fonction dissuasive importante et cela permettrait de favoriser la transparence des entreprises[24]. Cependant, il faudrait que plusieurs États se mobilisent pour que soit amorcé le processus normatif afin qu’un nouveau crime international protecteur de l’environnement se développe.

À ces difficultés de répression, s’ajoute aussi le défaut de connaissance du droit de l’environnement notamment en raison d’un manque de formation des juges et des parquets. Il est fréquent que certaines qualifications puissent être envisagées, mais ne le soient pas. En ce sens, cela renforce l’idée qu’une juridiction spécialisée unique trouverait son intérêt.

De plus, la question de la responsabilité pénale se pose aussi. Tout d’abord, concernant la responsabilité pénale des personnes physiques, aucun texte n’admet ou n’exclut la responsabilité du chef d’entreprise pour les infractions commises par les salariés. C’est donc la jurisprudence qui est venue admettre la responsabilité pénale du chef d’entreprise, car « la responsabilité remonte à lui, à qui sont imposées les conditions et les modes d’exploitation de son industrie »[25]. Ainsi, elle peut être engagée peu importe l’infraction commise, qu’elle soit de commission ou d’omission, d’imprudence ou intentionnelle[26]. Bien évidemment, la délégation de pouvoirs comme mécanisme d’exonération de la responsabilité pénale du chef d’entreprise est admise[27]. Ensuite, concernant la responsabilité pénale des personnes morales de l’article 121-2 CP, cette dernière est conditionnée à ce que l’infraction soit commise par un organe ou un représentant clairement identifié[28], pour le compte de la personne morale. Les organes sont visés par les statuts de la société, alors que les représentants sont déduits d’une certaine fonction. L’expression « pour le compte de », implique que l’infraction ait été commise dans l’intérêt de la personne morale, en son sein ou dans l’exercice de ses activités[29]. Les atteintes à l’environnement sont régulièrement causées en raison d’une volonté de réduire les coûts, notamment en négligeant l’entretient, en omettant de construire les infrastructures, etc. Par ailleurs, le cumul entre la responsabilité pénale des personnes physiques et des personnes morales est possible selon l’art. 121-2 alinéas 3 CP : « La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques, auteurs ou complices des mêmes faits »

Nonobstant, il existe aussi des mesures alternatives aux poursuites. Ces dernières sont de plus en plus mises en avant par le législateur dans l’optique d’optimiser la justice, afin d’éviter des lenteurs procédurales et leur coût relatif. Ainsi, en matière environnementale, les mesures alternatives aux poursuites ne font pas exception et trouvent aussi à s’appliquer. En 2021, l’Inspection générale de la justice a souligné que les poursuites pénales liées aux infractions environnementales étaient à 75 % des mesures alternatives aux poursuites, principalement des rappels à la loi ou des classements sans suite[30]. C’est notamment le cas de la médiation pénale, des mesures alternatives de l’article 41-1 CPP, de la composition pénale et de la convention judiciaire d’intérêt public environnementale. C’est cette dernière qui est particulièrement intéressante, car elle a été rajoutée récemment pour renforcer la répression des atteintes environnementales. Elle a été créée par une loi du 24 décembre 2020 sur le modèle de la convention judiciaire d’intérêt public en matière d’atteinte à la probité et au délit de fraude fiscale[31] ; elle constitue un accord transactionnel entre le procureur de la république et une personne morale lorsque cette dernière a été mise en cause concernant un ou des délits environnementaux. Elle vient donc compléter les mesures d’alternatives aux poursuites en permettant d’apporter une réponse pénale rapide aux infractions environnementales les plus graves. Elle va avoir pour effet d’éteindre l’action publique en échange de l’accomplissement de certaines obligations posées à l’article 41-1-3 CPP[32]. L’intérêt étant que l’accord porte sur la mise en conformité de la personne morale et sur la réparation des préjudices écologiques subis. La Cour de cassation dans un rapport de 2021[33], a considéré que la convention judiciaire d’intérêt public environnementale était particulièrement adaptée en raison du caractère polymorphe du droit de l’environnement, la nécessité de favoriser la réparation et la prévention des atteintes à l’environnement, ainsi qu’en ce qu’elle limite son usage abusif en ne pouvant être mise en place qu’une seule fois par l’entreprise. Cependant, les avantages apportés par la convention judiciaire d’intérêt public environnementale doivent être nuancés par le rappel effectué par une circulaire du 11 mai 2021[34] selon laquelle l’opportunité de la mettre en œuvre « pourra s’apprécier en fonction de plusieurs critères : les antécédents de la personne morale ; le caractère spontané de la révélation des faits ; le degré de coopération en vue de la régularisation de la situation et/ou de la réparation du préjudice écologique ». En ce sens, certains inconvénients ressortent, comme la variabilité du calcul du montant de l’amende, la difficulté d’évaluation du préjudice écologique, l’insuffisance de moyens permettant un suivi effectif des programmes de mise en conformité et l’insuffisance d’information des associations de défense de l’environnement. Pour autant, son développement trouvera certainement un intérêt en raison du renforcement des sanctions en matière environnementale[35].

En conclusion, alors que les débats environnementaux font rage dans la presse, la justice ne semble pas disposer d’outils étant à la hauteur pour réprimer efficacement les atteintes à l’environnement. Bien que de nombreux mécanismes aient été créés ces dernières années, l’étendue de leur champ ainsi que l’application qui en est faite est sujette à débat, afin que des améliorations soient apportées. Les réflexions autour de ce sujet ne cessent de croître. Pour autant, dans les faits, l’enjeu financier semble parfois – toujours – dépasser l’enjeu juridique. 

Balkis GERMAIN.


[1] Hervé KEMPF, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme, Éditions du Seuil, 2009.

[2] « Une justice pour l’environnement », Mission d’évaluation des relations entre justice et environnement, Inspection générale de la justice, octobre 2019.

[3] Quentin MÜLLER, « Les eaux noires de Total, révélations sur des pollutions majeures au Yémen », L’Obs, 20 avril 2023.

[4] Quentin MÜLLER, « Les eaux noires de Total, révélations sur des pollutions majeures au Yémen », L’Obs, 20 avril 2023.

[5] Quentin MÜLLER, « Le Yémen, un pays ravagé par la guerre civile », L’Obs, 20 avril 2023.

[6] « Yémen : les drames d’une guerre oubliée », UNICEF, 24 mars 2023.

[7] Quentin MÜLLER, « L’eau est un poison partout dans la région : au Yémen, dans la vallée des damnés des eaux noires de Total », L’Obs, 24 avril 2023.

[8] Quentin MÜLLER, « Piscines mortelles : première audience pour TotalEnergies accusé de pollution au Yémen », Marianne, 01 février 2024.

[9] « Tribunal de Nanterre : Assignation en justice de TotalEnergies pour « pollution pétrolière » au Yémen », 20 minutes avec AFP, 10 janvier 2024.

[10]  Florentin ROY, « Pollution : 75 ans de scandales industriels », You matter, 15 juin 2023.

[11] CPJI, 7 septembre 1927, France c/ Turquie, Affaire dite du Lotus.

[12] CA Paris, chambre de l’instruction, 13 février 2004 : condition qui a fait obstacle à la recevabilité de la plainte déposée pour commerce illicite de bois et de corruption.

[13] Uguette PETILLION, La répression des atteintes à l’environnement : réflexions autour de la compétence internationale du juge pénal français, Revue juridique de l’Environnement, Lavoisier, 2014.

[14] Loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.

[15] Mission d’appui et de préfiguration des pôles régionaux spécialisés en matière d’atteinte à l’environnement, issus de la loi n° 2020-1972 du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale. Rapport « Une justice régionale pour l’environnement », janvier 2022.

[16] « Le traitement pénal du contentieux de l’environnement », Rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement présidé par François MOLINS, procureur général auprès de la Cour de cassation, 2021.

[17] CA Paris, 18 juin 1980, Établissements Yves Michaud c/ Barraud ; TGI Bobigny, 28 juill. 2008, n° 08/01101 ; Cass, Com, 12 mars 1996, n° 93-19514.

[18] « Mission flash sur le référé spécial environnemental », Communication de Mmes Naïma MOUTCHOU et Cécile UNTERMAIER, 10 mars 2021.

[19] « Le traitement pénal du contentieux de l’environnement », Rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement présidé par François MOLINS, procureur général auprès de la Cour de cassation, 2021.

[20] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

[21] Proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, présentée par Jérôme DURAIN, Nicole BONNEFOY, Marc DAUNIS, Patrick KANNER et plusieurs de leurs collègues, dans le cadre d’un ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain.

[22] Laurent NEYRET, Pour la reconnaissance du crime d’écocide, Revue juridique de l’environnement, Lavoisier, 2014.

[23] Polly HIGGINS, Eradicating Ecocide: Laws and Governance to Prevent the Destruction of Our Planet, 2015.

[24] Mario BETTATI, Le droit international de l’environnement, 2012.

[25] Cass, Crim, 28 février 1956, n°53-02.879.

[26] Cass, Crim, 28 juin 2005, n°05-80.185.

[27] Cass, Crim, 28 juin 1902, Bull. crim. no 237, DP 1903. 1. 585, note Roux.

[28] Cass, Crim, 16 avril 2019, n°18-84.073.

[29] Cass, Crim, 5 avril 2018, n° 17-81.912.

[30] « Une justice pour l’environnement », Mission d’évaluation des relations entre justice et environnement, Inspection générale de la justice, octobre 2019.

[31] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

[32] Article 41-1-3 CPP : « 1° Verser une amende d’intérêt public au Trésor public. Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée, le cas échéant au regard des avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. Son versement peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an et qui est précisée par la convention ; 2° Régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements dans le cadre d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans, sous le contrôle des services compétents du ministère chargé de l’environnement et des services de l’Office français de la biodiversité ; 3° Assurer, dans un délai maximal de trois ans et sous le contrôle des mêmes services, la réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises ».

[33] « Le traitement pénal du contentieux de l’environnement », Rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement présidé par François MOLINS, procureur général auprès de la Cour de cassation, 2021.

[34] Circulaire visant à consolider le rôle de la justice en matière environnementale, 11 mai 2021.

[35] Sophie BRIDIER, Quelle place pour la nouvelle CJIP environnementale, Dalloz, 02 mars 2021.

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