Dans l’ère actuelle du post me too, les témoignages autour des violences sexuelles subies dans l’enfance se multiplient. Peuvent être cités le livre La consolation de Flavie Flament, le dernier Goncourt des lycéens Triste Tigre ou encore le succès récent du film Le consentement.

Ce mouvement de libéralisation de la parole s’accompagne de la volonté constante des victimes d’aggraver la répression des violences sexuelles sur mineurs et ce malgré une évolution récente de leurs prescriptions.

La commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) créée en mars 2021 à la suite de la publication du livre « La Familia Grande » de Camille Kouchner a, après trois ans de travail durant lesquels elle a notamment recueilli 30.000 témoignages de victimes d’inceste, rendu le dix-sept novembre dernier son rapport[1]. Dans celui-ci, elle recommande notamment de rendre imprescriptibles les viols et agressions sexuelles commis sur des mineurs « afin de ne plus opposer aux victimes l’écoulement du temps pour rejeter leur demande ».

Dans la même optique, le sénateur Xavier Lacovelli, membre du parti présidentiel Renaissance, a déposé une proposition de loi le 30 mai dernier pour supprimer les délais de prescription en cas de violences sexuelles contre un mineur.

De fait, une question se dégage de cette actualité débordante, faut-il durcir la répression des violences sexuelles faites aux enfants en allant jusqu’à les rendre imprescriptibles ?

La notion de prescription est un des principes fondateurs de notre droit, héritée de l’époque romaine et inscrite sous la période napoléonienne dans le code d’instruction criminelle de 1808.

Elle peut se définir comme « une cause d’extinction d’une action par l’effet de l’écoulement d’une période depuis le jour de la commission de l’infraction ».[2]

Ainsi, elle établit qu’au-delà d’une certaine durée, la possibilité de faire valoir ses droits devant la justice s’éteint.

En ce sens, la prescription constitue un enjeu majeur dans la mesure où elle conditionne la relation entre la justice pénale et l’écoulement du temps

Celle-ci est la clef de voûte de notre système pénal français en ce qu’elle permet de préserver la fiabilité de l’édifice judiciaire dans la mesure où elle garantit la sécurité juridique en fixant un terme aux actions.

De surcroît, la prescription sous-tend également une forme de droit à l’oubli, au nom de la paix sociale et suivant l’idée qu’un individu est susceptible d’expiation au fil du temps.

Aujourd’hui, le seul cas d’imprescriptibilité reconnu en droit français concerne les crimes contre l’humanité. Il s’agit d’un héritage du procès de Nuremberg, inscrit dans une résolution des Nations Unies du 13 février 1946. En effet, bien que le Conseil constitutionnel dans une décision du 24 mai 2019, ait estimé que l’extension de l’imprescriptibilité à d’autres crimes n’était pas contraire aux lois fondamentales, le législateur n’a jamais souhaité étendre cette exception.

Actuellement, le délai de prescription du crime de viol et des délits d’agression sexuelle et d’atteinte sexuelle sur mineur, instauré par la loi dite « Schiappa » du 3 août 2018, est de 30 ans pour le viol et 10 ans pour l’agression sexuelle et l’atteinte sexuelle à compter de la majorité de la victime. Lorsque l’agression sexuelle ou l’atteinte sexuelle est commise sur un mineur de 15 ans, le délai de prescription est porté à 20 ans à compter de la majorité de la victime.

De plus, la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a créé un mécanisme de prescription qui permet de mieux réprimer les auteurs lorsque les faits s’avèrent anciens. De facto, cette loi instaure un mécanisme original de prescription dite « glissante » ou « en cascade », concernant ces infractions sexuelles, en apportant des précisions au sein des articles 7 et 8 du Code de procédure pénale. De ce fait, depuis 2021, lorsque l’auteur commet sur un autre mineur et avant l’expiration du délai de prescription un nouveau viol, une agression sexuelle ou une atteinte sexuelle le délai de prescription du crime de viol initial est alors prolongé jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction commise.

Par conséquent, la loi du 21 avril 2021 a permis une meilleure répression des violences sexuelles sur les mineurs. Nonobstant, nombre d’associations et de collectifs de victimes s’accordent sur le fait que cela n’est pas suffisant. De fait, la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) relève dans son rapport que « depuis l’ouverture de l’appel à témoignages, l’abolition des délais de prescription est la demande la plus formulée par les victimes ».

Cette imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineurs est déjà adoptée par plusieurs de nos pays voisins notamment la Belgique, la Suisse, le Danemark ou encore certains états des États-Unis. En Belgique, depuis la loi du 21 mars 2022, l’ensemble des infractions relatives aux violences sexuelles sont frappées d’imprescriptibilité. De même, en Suisse, depuis mars 2012, les auteurs de

viols sur des enfants de moins de 12 ans peuvent être poursuivis toute leur vie. S’agissant de la Californie, en septembre dernier, la prescription a été supprimée dans la foulée de l’affaire Cosby.

La suppression de la prescription des violences sexuelles faite aux enfants serait un message porteur d’espoir et de soutien pour les victimes, permettant à fortiori d’inciter à la prise de parole. Elle permettrait également de dissuader davantage à la commission de l’infraction.

En effet, notre société est devenue plus sensible à l’impunité, en particulier pour les crimes sexuels ou ceux impliquant des enfants. De telle sorte, le délai de prescription se heurte à la souffrance des victimes, dont la parole porte de plus en plus fort dans l’espace médiatique.

De surcroît, la durée des preuves s’est améliorée en raison des progrès scientifiques, dans la recherche de l’ADN notamment ou encore la meilleure conservation des scellés qui augmentent la durée de leur validité.

En revanche, les conséquences de la consécration de la suppression de ce délai de prescription seraient particulièrement lourdes tant pour notre système pénal que pour les victimes elles-mêmes.

S’agissant des victimes elle-même, la qualité des preuves et des témoignages se dégradant avec le temps, il faut qu’elles aient conscience qu’il sera bien plus difficile de poursuivre l’auteur d’une infraction des années après sa commission. Dès lors, les victimes risqueraient sans doute d’être confrontées à des désillusions qui auraient peut-être pu être des satisfactions si elles avaient déclenché l’action publique quelques années auparavant. En ce sens, M. GRIMAUD et R. COSTANTINO, tous deux avocats au barreau de Paris manifestent leurs réticences au travers de ces mots : « […] Il est certain que pour les praticiens que nous sommes l’imprescriptibilité créerait plus de désillusions auprès des victimes qu’elle ne les aiderait à se faire entendre de nos juridictions […] ».

De plus, pour les victimes, la connaissance de l’écoulement du délai de prescription peut être un levier important au dépôt de plainte. Il s’agit en effet d’une réalité qui a été constatée par les professionnels qui accompagnent les victimes au sein de l’association. De nombreuses victimes se décident à déposer plainte peu de temps avant la fin du délai de prescription. De fait, une de ces associations, Colosse au pied d’argile, met effectivement en avant le fait que « le principe d’une date butoir évite l’illusoire confort de la procrastination et participe directement à la libération de la parole ».

Intégrer la suppression de ce délai de prescription aboutirait à mettre en échec notre système pénal qui est précisément construit sur l’idée qu’il existe un temps pour poursuivre et un temps pour le droit à l’oubli, garantissant de cette façon la sécurité juridique. De surcroît, la prescription permet de respecter la nécessité de satisfaire aux impératifs du procès équitable en jugeant criminels et délinquants dans un délai raisonnable.

De fait, bien que l’imprescriptibilité constituerait un changement de paradigme fort qui renverrait l’image d’une justice pleinement tournée vers les victimes, rendre certaines infractions imprescriptibles reviendrait à affaiblir un des fondamentaux de notre système judiciaire. Et par la même, à ouvrir une boite de Pandore où la question de la prescription pourrait se poser pour d’autres infractions également. Ce qui supprimerait alors ainsi la notion même de prescription, l’un des fondements de la paix sociale chère à bons nombres de juristes tels que Carbonnier ou Cornu. De la sorte, c’est tout notre système pénal qui serait remis en question avec le risque d’un retour au système archaïque vindicatoire.

En outre, rendre imprescriptibles ces infractions reviendrait en filigrane a hiérarchiser la gravité des infractions.

Il est toutefois nécessaire de faire état d’un cas particulier qui se révèle de plus en plus fréquent, celui des victimes amnésiques. De facto, la difficulté tient à un phénomène d’amnésie post- traumatique, dont l’existence est désormais scientifiquement admise, qui conduit certaines victimes à prendre conscience des faits que de très nombreuses années après leur commission, parfois lorsque l’action publique est déjà prescrite.

Dans une telle hypothèse, la victime ne peut plus agir, comme l’a affirmé le 18 décembre 2013 la Chambre criminelle de la Cour de cassation (pourvoi n° 13-81129) dans une affaire où une femme abusée dans son enfance n’avait pris conscience des faits que 34 ans plus tard. Cette décision vient à rejeter l’adjonction de l’amnésie traumatique comme cause de suspension du délai de prescription.

Dès lors, pour venir en aide aux victimes d’amnésie post-traumatique consécutive à une agression sexuelle ou un viol une des solutions qui pourrait être envisagée serait de considérer cette amnésie comme un obstacle insurmontable suspensif du délai de prescription de l’action publique comme cela était le cas dans l’affaire des nouveaux nés entrées et découverts postérieurement au délai de prescription (Assemblée plénière de la Cour de cassation, 7 nov. 2014 n°14-83739). Cette possibilité d’admettre une suspension du délai de prescription est d’ailleurs consacrée par l’article 9-3 du code de procédure pénale.

Néanmoins, cette reconnaissance d’un obstacle insurmontable à l’exercice de l’action publique a été rejetée par la chambre criminelle (Crim. 17 oct. 2018, n° 17-86.161). Par conséquent, la haute juridiction a donc considéré que « l’amnésie traumatique ne peut influer sur le délai de prescription de l’action publique ».

En définitive, ce cas particulier mis de côté, rendre les violences sexuelles commises sur les mineurs exemptes de prescription serait un signal sans doute extrêmement fort, mais rendrait sa mise en œuvre indéniablement difficile en raison de la difficulté pratique de recueillir des preuves

des années après les faits. Par ailleurs, cela pourrait se traduire par une augmentation conséquente du nombre de procédures pénales à traiter pour les services d’enquête de sorte que les délais de traitement judiciaire seraient nécessairement rallongés.

Il s’agit en effet d’une idéologie sociale qui risquerait d’amoindrir tout autant notre système pénal que les chances pour les victimes de voir leur traumatisme entendu et réparé.

En outre, bien que cette imprescriptibilité émerge d’un consensus de victimes, il est néanmoins nécessaire de garder en tête l’office du droit pénal, celui-ci n’est pas là uniquement pour panser les plaies des victimes, mais principalement pour garantir l’ordre social.

En ce sens, la possibilité nouvelle laissée par la loi de 2021 d’appliquer une prescription glissante est une opportunité particulièrement pertinente pour permettre la répression de ces agissements. Par ailleurs, cette modification du droit positif est peut-être suffisante pour répondre aux demandes des victimes.

Il apparaît donc pertinent d’attendre d’évaluer l’impact concret de ce mécanisme de prescription glissante sur la répression des violences sexuelles sur mineurs et également de s’inspirer des différents bilans de l’application de l’imprescriptibilité de ces crimes dans les pays l’ayant mis en place.

En l’état, les données statistiques de la Suisse[3] mettent en évidence qu’entre l’entrée en vigueur de l’imprescriptibilité et aujourd’hui le nombre d’infractions de nature sexuelle a effectivement augmenté passant de 4292 en 2010 à 5377 en 2022. Pour autant, il ne peut pas être établi de corrélation certaine entre cette augmentation et la suppression du délai de prescription. Cette l’amplification peut également avoir été influencé par l’évolution de la société et la libération de la parole.

En tout état de cause il appartiendra au législateur de prendre position sur cette question.

Pénélope MICHEL.


[1] https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-la-ciivise/

[2] F Desportes et .L Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale

[3] Office fédéral de la statistique (OFS) – Statistique policière de la criminalité (SPC)

Une réponse à « Vers une suppression du délai de prescription des violences sexuelles sur mineurs ? »

  1. Très bon article, très complet

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